Le datajournalisme appliqué aux enlèvements
PARIS, 26 juin 2015 – Combien de fois ai-je entendu cette rengaine depuis que je suis entré à l’AFP il y a près de vingt ans : « nos archives contiennent des millions d’articles, nous sommes assis sur une mine d’or informative ». Et c’est vrai. Si, comme on le dit, le journalisme est le premier brouillon de l’histoire, alors les grandes agences d’information qui couvrent l’actualité jour après jour partout sur la planète disposent du plus gros brouillon d’histoire mondiale qui puisse exister. Mais extraire et exploiter toutes ces données n’est pas une tâche aussi facile qu’on le pense. Ou du moins, c’était le cas avant l’avènement de l’ère numérique.
Le Projet sur les otages européens, comme nous l’avons appelé, est en premier lieu une tentative pour extraire une partie de ce trésor caché sur lequel nous reposons. Deux choses ont rendu cette initiative possible : d’abord le fait que toutes les dépêches AFP, depuis plus d’un demi-siècle, comportent des mots-clés (le « slug », dans le jargon du métier) attribués par les journalistes qui les ont rédigés, et que cette tâche a en général été effectuée de façon constante et pertinente. Le deuxième élément grâce auquel notre projet a pu voir le jour, c’est la création d’un « métalangage » informatique appelé XML qui catalogue les différents éléments de chaque texte que nous écrivons : « ici c’est le titre », « ici c’est la date », « ici c’est le premier paragraphe », « ici c’est l’auteur », etc. Cela permet de brasser des montagnes de données, à la recherche d’informations bien précisés.
A partir de là, un datajournaliste fraîchement embauché par l’AFP, Jules Bonnard, a conçu et adapté une série d’outils qui a permis à une dizaine d’étudiants de deuxième année en journalisme à l’Institut français de presse de naviguer parmi toutes ces données, de les classer par pays et de constituer des dossiers détaillés sur chaque enlèvement et chaque otage en particulier. Tous ces éléments ont ensuite été rassemblés dans un autre outil, conçu spécialement pour le journalisme de données par la startup française Journalism++.
La collaboration entre les écoles de journalisme et les médias sur des projets d'investigation de longue haleine est une pratique bien installée aux Etats-Unis, et qui commence à se répandre en Europe. Elle permet aux organes de presse de mobiliser un grand nombre de jeunes journalistes motivés pendant des semaines ou des mois sur un seul projet, ce qu’une entreprise peut rarement se permettre avec ses propres reporters. Quant aux étudiants, ils acquièrent de cette façon une expérience professionnelle réelle, encadrés par des journalistes chevronnés, et voient leurs résultats publiés. Tout le monde y gagne, et les résultats sont parfois exceptionnels.
Cliquez pour accéder au site internet interactif
Nous sommes fiers de cet effort. Nous avons déterminé l’existence de tendances, jusque-là invisibles ou peu évidentes, dans le domaine des prises d’otages européens à travers le temps. Un bon exemple du pouvoir du datajournalisme.
Le Projet otages comprend plusieurs volets. Un site internet interactif permet d'interroger la base de données et de rechercher des tendances comme la nationalité des otages, où et par qui ils ont été enlevés, combien de temps sont-ils restés prisonniers, comment leur enlèvement s'est-il terminé, quels sont les pays les plus touchés par le phénomène, etc. Un article résume les principales découvertes effectuées grâce au projet et tente de premiers éléments d'analyse. Enfin, le dossier comporte cinq articles de fond, réalisés par les étudiants d'après leurs recherches et leurs rencontres avec d'anciens otages, leurs familles et des spécialistes de la question, sous la supervision du journaliste d'investigation Eric Pelletier, du magazine L'Express.
Voici le résultat de leur travail (cliquez sur la bannière pour accéder à chaque article) :
Marlowe Hood est journaliste à l’AFP à Paris et enseignant à l’école de journalisme de l’Institut français de presse. Suivez-le sur Twitter.