A Gaza, au milieu des enfants de la guerre
GAZA, 2 août 2014 - Cette guerre à Gaza n’est pas la première guerre que j’ai couverte. Ce n’est d’ailleurs pas la première guerre que j’ai couverte à Gaza. Je suis allée en Syrie, en Libye. J’avais déjà vu ces horreurs qui accompagnent tous les conflits armés. J’avais déjà vu des enfants morts, mais jamais comme pendant cette guerre à Gaza. Jamais autant, jamais aussi souvent.
Tout le monde aime ses enfants, à Gaza comme ailleurs. Mais ici, l’affection publique est toute particulière, c’est une fierté que n’altère en aucune manière les idées de sphère privée ou de réserve. Tout le monde veut vous montrer les photos de ses enfants. Les hommes dégainent leur portable encore plus vite que les femmes. J’ai vu des photos de la plupart des enfants du personnel de mon hôtel. Mon réceptionniste préféré, Ayman, a deux fils, dont l’une a la peau claire et les yeux pâles. Mahmoud, le gardien barbu de l’hôtel, toujours souriant, a trois fils, dont le plus jeune, me dit-il avec une fierté mêlée d’un brin d’embarras, est « aussi joli qu’une fille ».
On voit des enfants partout à Gaza. Ils se pressent autour de vous dans les camps de réfugiés et les écoles gérées par l’Agence onusienne pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), où plus de 240.000 personnes ont trouvé refuge dans une très grande précarité après avoir fui leur foyer depuis le début des hostilités, le 8 juillet, entre le Hamas palestinien et Israël.
Certains sont téméraires et curieux, tendant une main pour serrer la vôtre, posant mille questions personnelles, sur votre famille, votre pays. Dans une école de la ville de Gaza, deux sœurs ont fouillé mon sac à la recherche de quelque chose pour jouer avant de battre des mains et de chanter.
Mais d’autres sont différents et vous regardent en silence, un silence qui laisse à penser qu’il ne s’agit pas que d’un trait de caractère. Dans la même école à Gaza, une petite fille rousse aux grands yeux m’a tendu la main mais au lieu de se contenter de me saluer, elle ne m’a pas lâchée. Elle m’a dit qu’elle s’appelait Yasmine, mais rien d’autre. Elle m’a suivie dans l’école pendant que je menais mes interviews, puis elle est venue s’asseoir à côté de moi, alors que je patientais à l’ombre avant le début d’une conférence de presse. Elle ne voulait pas parler. Elle voulait juste rester, sagement, à côté de moi.
A la morgue de l’hôpital al-Chifa de Gaza, les employés ont vu des dizaines d’enfants morts. Il y a du stoïcisme dans leur façon de laver et de toiletter les trois cadavres placés devant eux: Afnane, Jihad et Wissam Chouheiber. Ils ont déjà vu des petits corps brisés, et ils en verront d’autres, probablement plus tard dans la journée. Leur comportement professionnel, clinique, frappe d’autant plus qu’à côté, les proches ne cachent rien de leur immense douleur.
Ces trois enfants, deux frères et un cousin, jouaient sur un toit de Gaza quand un missile a frappé le bâtiment. Ils ont été transportés à l’hôpital mais ont succombé peu après à leurs blessures. Tous trois étaient criblés d’éclats d’obus, brûlants, qui leur avaient arraché des morceaux de peau de la taille d’une pièce d’un sou. L’un des enfants semblait avoir eu les dents fracassées. Wissam, le cadet, portait un slip aux couleurs bleu et jaune d’un Superhéros.
Difficile de garder sa contenance à la morgue face au personnel s’affairant autour des trois enfants, et d’un quatrième tout juste transféré après être décédé dans un autre hôpital. Je m’étais glissée dans la pièce avant que la mêlée des journalistes n’entre, et je suis restée dans un coin pendant que l’équipe travaillait et que les membres des trois familles passaient de la colère à la douleur infinie. J’ai continué à prendre des notes et à observer, en pleurant. Et quand j’ai décrit la scène, plus tard, dans une dépêche, j’avais les larmes aux yeux.
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Les enfants Chouheiber n’ont pas été les seuls mineurs tués alors qu’ils jouaient à Gaza. Le 16 juillet, j’envoyais une dépêche de l’hôtel, avec mes collègues, quand une déflagration nous a fait courir dehors. En arrivant dans le patio, j’ai vu un groupe d’enfants paniqués qui remontaient la plage en criant dans notre direction. A ce moment, un autre obus les a visés. Plusieurs d’entre eux ont réussi à se réfugier à l’hôtel, où le personnel et les journalistes ont essayé de réconforter les gamins terrifiés et d’apporter les premiers soins aux blessés. Il en y avait au moins trois. Avec d’autres journalistes, j’ai essayé d’aider un garçon qui avait un morceau d’obus dans la poitrine. Les ambulances sont arrivées et ont évacué les victimes. Elles sont aussi allées sur la plage, où elles ont trouvé quatre enfants morts. Une fois la panique dissipée, le sol du restaurant dans le patio de l’hôtel était maculé de sang et parsemé de bouts de gaze.
Il est impossible d’écrire une chute de récit convenable pour ce type d’expérience, de témoignage. Il n’y a pas de « happy end ». Mais pour moi, il y a aussi eu, quand même, un moment contrastant avec ces images atroces, chez l’un de nos formidables journalistes en poste à Gaza, Adel Zaanoun. Nous nous sommes assis pour le dîner quotidien de l’ « iftar », la rupture du jeûne pendant le mois de ramadan, et il a insisté pour que je prenne dans mes bras Adam et Alma, ses jumeaux de deux mois.
Ils étaient minuscules, tout roses, poussant des petits cris de chérubins et agitant leurs petits poings. Vivants, si vivants. Et face à eux, chacun dans la pièce ne pouvait que sourire.