Drapeau noir sur Kobané
PARIS, 7 octobre 2014 - Des combattants montent la garde, sous le drapeau noir du groupe Etat islamique, au sommet d’une colline à l’est de la ville de Kobané, en Syrie. Cette image a été prise le lundi 6 octobre en début d’après-midi par le photographe de l’AFP Aris Messinis depuis le village turc de Mürșitpinar, juste de l’autre côté de la frontière. Sa composition étrange, et notamment le fait que les silhouettes des militants aient l’air disproportionnées par rapport aux autres éléments de la scène, a soulevé des doutes chez certains clients de l’AFP qui ont appelé l’agence pour s’assurer de son authenticité.
« J’ai pris cette photo depuis un groupe de maisons situé à environ 500 mètres au nord de la frontière », explique Aris Messinis. « C’est le plus près qu’on puisse s’approcher du territoire syrien sans être délogé par l’armée turque qui monte la garde en permanence. De là où je me trouvais, la colline occupée par les combattants de l’EI était distante d’un peu plus d’un kilomètre. Cette colline domine complètement Kobané. Les militants y ont installé une pièce d’artillerie. Depuis qu’ils ont planté leur drapeau là, lundi après-midi, ils n’en ont pas bougé. Ce matin (mardi 7 octobre) ils y étaient encore ».
Pour prendre ses photos, Aris Messinis a utilisé un téléobjectif de 400 mm ainsi qu’un multiplicateur de focale, une bague que l’on visse entre l’objectif et le boitier et qui lui a permis d’augmenter la focale jusqu’à 600 mm. C’est le matériel qu’utilisent les photographes professionnels lors des matches de football, afin d’obtenir des images au plus près de l’action tout en restant sur les bords du terrain.
Une optique aussi puissante a pour effet d’écraser les perspectives, ce qui explique l’impression de disproportion entre les militants au sommet de la colline et les voitures au premier plan. L’image est, de plus, brouillée par la brume de chaleur qui montait du sol, comme on peut le voir sur cette vidéo également tournée par Aris Messinis.
Si vous n'arrivez pas à visualiser correctement cette vidéo, cliquez ici.
L’autre curiosité de la photo est la présence, au pied de la colline, d’une forme blanche qui fait penser à un groupe de bâtiments détruits. Ce qui, si c’était le cas, constituerait une autre disproportion flagrante avec les silhouettes des militants au sommet.
« Je ne suis pas certain de ce que c’est. Et de toutes façons je n’ai pas la moindre envie d’y aller pour en avoir le cœur net ! » poursuit Aris Messinis. « Il s’agit peut-être d’une sorte de ruine antique ou, plus probablement, d’un cimetière. En agrandissant mes images j’ai pu voir des inscriptions en arabe sur des sortes de piliers. Dans tous les cas il ne s’agit absolument pas de maisons détruites».
Quant à l’inscription en grosses lettres sur le flanc de la colline, « NEWROZ », elle signifie « Nouvel an » en kurde, une fête qui tombe le 20 mars. Elle est donc vraisemblablement antérieure à l’arrivée des jihadistes.
Aris Messinis, un photojournaliste basé à Athènes qui a couvert les conflits en Libye, en Syrie, en Ukraine ainsi que les émeutes en Grèce et en Turquie, est un habitué des images tellement saisissantes qu’on a du mal à y croire. En octobre 2011, sa photo surréaliste d’un rebelle libyen jouant de la guitare au milieu d’une fusillade nourrie à Syrte avait soulevé l’incrédulité chez certains, avant d’obtenir un des prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre.